Les plus beaux mots du monde ne sont que des sons inutiles si vous ne pouvez pas les comprendre.
– Anatole France
Étymologie et définition1
1874 (in TLF-Étym) n. f.; 1897 (in TLF-Étym) adj.; du grec sêmantikos « qui signifie, qui indique, qui fait connaître ».
N. f. Branche de la linguistique qui étudie le langage du point de vue de la signification.
Le sens des mots
Pour les élèves du primaire et du secondaire, on définira la sémantique comme la discipline qui s’intéresse au sens des mots.2 Une définition simple qu’ils arrivent tous à comprendre: un même mot peut représenter plusieurs idées différentes. C’est pourquoi, lorsqu’on enseigne une langue, il n’est pas seulement question d’orthographe d’usage, de grammaire ou de syntaxe. Pour donner un sens à une phrase, il faut savoir choisir ses mots.
Si les enfants arrivent rapidement à comprendre l’importance du choix des mots sans y voir accoler un symbole révolutionnaire, pourquoi ça semble donc si compliqué pour les adultes?
La réponse simple: parce que reconnaître le vrai sens d’un mot implique inévitablement des changements. Et changer demande des efforts, de la mobilisation, des ressources et du temps.
Le mot juste est le juste mot
Si la société représente un ensemble d’êtres humains vivant en groupe organisé, et donc en cohésion sociale, il est alors impératif que l’on y retrouve des principes d’inclusion, de vivre-ensemble, de solidarité, d’égalité, d’équité et de réconciliation. Et c’est grâce à la capacité d’exprimer des pensées et de les communiquer à travers le langage que l’on y parvient. « Les mots ne sont pas de simples particules de phrases. Ces syllabes entremêlées ont un réel pouvoir. Les mots nous gouvernent, nous trahissent, nous blessent, nous réchauffent. Mais en aucun cas, ils ne laissent insensibles. »
Quand un mot prend tout son sens
Un homme qui bat et tue sa femme, ce n’est pas qu’un simple homicide, encore moins un drame familial ou conjugal. C’est un féminicide. Ça signifie que les lois et les services actuels n’ont pas su la protéger. Ça signifie que des changements devront être apportés en amont — actualiser les lois, offrir davantage de ressources matérielles, physiques, monétaires, éducatives — pour assurer la sécurité des femmes. « Mais ça demeure quand même un drame familial ou conjugal, non? » Le terme drame ne trouve son sens tragique qu’au figuré. Par extension, le drame familial peut toucher tous les membres de la famille et prendre différentes formes dont la maladie, l’accident, le suicide, etc. Un drame familial, ou conjugal, n’inclut pas toujours le décès d’un membre de la famille. Ainsi, dans le contexte précis où la finalité est la mort d’une femme assassinée par son conjoint, on doit parler de féminicide.
Un chroniqueur sportif français qui embrasse une femme sans son consentement, en direct à la télévision, ce n’est pas juste une blague ou un libertin. C’est une agression, sexuelle de surcroit. Ça signifie que cet homme n’a pas respecté les droits de cette femme. Ça signifie que des changements devront être apportés en amont — éduquer davantage, punir ces gestes par la loi — pour assurer la dignité des personnes.
Un adulte qui a une relation sexuelle avec un enfant, ce n’est pas qu’un violeur. C’est un pédophile. Ça signifie qu’il a transgressé l’intégrité physique et mentale de l’enfant. Ça signifie que des changements devront être apportés en amont — reconnaître les troubles paraphiliques et offrir davantage de ressources psychiatriques pour prévenir ces gestes — pour assurer les droits de l’enfant.
Un policier qui intercepte un véhicule de luxe ou un peu plus haut de gamme conduit par une personne de couleur pour procéder à des vérifications, ce n’est pas qu’une simple patrouille. C’est du profilage racial. Ça signifie que cette personne entretient des préjugés raciaux dans le cadre de ses fonctions. Ça signifie que des changements devront être apportés en amont — reconnaître le racisme et offrir davantage de ressources éducatives pour prévenir ces gestes — pour assurer le droit à la liberté aux personnes de couleur.
Des infirmières qui insultent, disent des injures et maltraitent une femme autochtone nécessitant des soins de santé, ce n’est pas qu’un manque de professionnalisme et d’éthique. C’est du racisme systémique. Ça signifie qu’elles considèrent leur identité et leurs privilèges supérieurs à ceux de l’autre en raison de leurs choix de vie et des préjugés sociaux persistants. Ça signifie que des changements devront être apportés en amont — reconnaître que les discriminations sociales sont le fruit de processus historiques qui ont pour effet, entre autres, de rendre moins accessible à certains groupes l’accès aux soins et à la santé, à un logement décent ou à un emploi stable — pour assurer l’égalité et le respect de tous les citoyens d’une société.
Le gouvernement de François Legault qui refuse d’admettre l’existence du racisme systémique au Québec en stipulant que les Québécois ne sont pas tous racistes est l’exemple même de l’importance de la sémantique. Les humains ne sont pas tous racistes. Toutefois, des processus historiques maintiennent des positions sociales inégalitaires en fonction de stéréotypes et de préjugés. Ça signifie que des changements devront être apportés en amont. Et après un an de pandémie à répéter les mêmes erreurs, on sait que le changement, ce n’est pas la force de la CAQ…
Le choix des mots est important
Lutter contre la stigmatisation commence par le langage que nous utilisons.
Un adulte qui a une relation sexuelle avec un enfant, c’est même un pédocriminel. Le terme de “pédophile” mériterait d’être réservé à sa définition première (et étymologique) : “Qui ressent une attirance sexuelle pour les enfants.” Le passage à l’acte est un crime, d’où le terme plus juste de pédocriminel.
Merci autrement pour cet article fort intéressant.
Vous avez tout à fait raison. Ainsi, tout consommateur/producteur de pornographie juvénile est un pédocriminel, ces deux gestes étant également illégaux.
Très bel article… je souriais en lisant l’expression « personne de couleur ».
Est-ce ce de la pudeur ou de la peur de d’objectiver en désignant clairement les individus par la caractéristique qui fait l’objet de leur discrimination quand o parle de racisme.
Moi l’africain je ne comprends pas ce que ça signifie ce terme « personne de couleur
Merci ! En fait, j’ai choisi d’écrire « personne de couleur » plutôt que d’utiliser l’abréviation anglophone « BIPOC ». Ce choix reflète également la terminologie utilisée dans un rapport dénonçant le profilage racial au sein du SPVM que j’avais lu au moment de la rédaction de mon article.